ji


monotypes, fards sur coton, sous enveloppes en pergamine 11,5/8 cm
débuté en mai 2oo8


ji est un rituel quotidien
chaque soir, je prends l’empreinte de mes yeux fermés
conservées dans des enveloppes,
les empreintes sont datées et classées mensuellement
rituel… série… répétitions… mouvements…

tant de choses nous faisons, jour après jour, habitudes… pas habitées
je veux ritualiser… être dedans, ici et maintenant

prendre conscience de chaque geste, incarner le quotidien
sans protocole avec amour, pour que l’habitude n’existe pas…

ji c’est laisser une trace, sur un objet que par habitude l’on jette…
le regard se penche sur cet objet sans intérêt avec un regard aimant et devient autre chose…

la collection de cotons devient témoin du temps qui passe…

projet d’installation, un accrochage des enveloppes,
remplissant les murs d’une pièce entière, comme capitonnée.




Ji article Valérie Maire

magnifique message
sous les paupières
des tonnes de tendresse
fragile autour
merci en vagues lettres
un alphabet de l’être


La peau aime regarder sous les paupières

texte de Valérie Maire, journaliste, septembre 2o1o

Les cotonneries de Sofi Eicher empruntent nos rêves
en même temps qu’ils gardent l’empreinte du regard.
 Le regard, lorsqu’il se dérobe sous la peau.
«La peau aime regarder/ sous les paupières/ les rêves des possibles».

Le travail récent de l’artiste lausannoise
est né en 2008 «par accident» dit-elle,
surgi d’un geste apparemment insignifiant qui, peu à peu,
s’est transformé en un rituel de fin de journée
auquel elle ne déroge désormais que rarement.

Il a fallu un peu de lotion démaquillante sur une rondelle de coton,
le coton posé sur les yeux et une empreinte,
celle de la paupière doucement accentuée de fard et bordée
par le khôl des cils épaissis.
Traces du jour écoulé, les cotons gauche et droite de chaque œil
ont tissé progressivement le journal intime (j.i.) de l’artiste,
dont un des mois a été reproduit dans le recueil «peaux *essai», paru en 2010.


Une date, deux ronds de paupières
et un court texte pour chaque journée qui passe:
la démarche est sobre et le travail sur les mots
aussi essentiel que l’empreinte elle-même.
Sofi Eicher triture ses textes, les élague, les casse pour les recomposer.
Une autre façon d’aller tout au fond de l’énoncé,
de faire s’opposer le sens des mots choisis, choyés, broyés.
Un passage (et un jeu) constant du dehors au dedans et inversement.
Un jeu sur le Je. 


Depuis 2005, l’intimité se pose en fil conducteur de son travail,
traitée autant par la photographie, le dessin à l’encre de chine,
les monotypes ou l’écriture.

Cette intimité se traduit souvent par une approche sensorielle
et tactile du sujet et une mise en scène tout en pudeur de l’artiste.
Les intérieurs consistaient par exemple
en un délire de papiers peints organiques
où se devinaient çà et là des touffes de cheveux
ou de poils, reproduites en série.
La série, le rituel, l’intérieur, l’extérieur,
le toucher, la parole, la vue.
Sofi Eicher recherche désormais les yeux de l’autre.
Fascinée par les regards croisés,
elle les provoque, s’y arrête et les interroge.
Vos yeux m’intéressent, dit-elle.
Les yeux baissés, légèrement maquillés par l’artiste,
s’impriment toujours sur le coton.
Mais ce relevé du regard s’accompagne également
du portrait photographique des personnes qui se prêtent à l’exercice.
Le regard qu’il soit gêné, souriant, interrogateur ne ment jamais.
Vient ensuite la parole et cette question: 
«Pour vous, qu’est-ce que le regard?».